Actualité 11 mars 2014

Perspectives d’acteurs : Myriam Le Goff

Docteure en économie spécialisée dans la santé

Jeudi 19 mars 2014, Renaissance Numérique organisait une conférence sur le thème "Financer la santé à l'ère du digital". Après avoir interrogé Henri Isaac sur les transformations du système de santé à l'heure du numérique et Jérôme Leleu, Président du Groupe Interaction, sur le rôle de la gamification et des objets connectés dans le développement de la e-santé, c'est au tour de Myriam Le Goff, docteure en économie spécialisée dans la santé de répondre à nos questions.

Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ? Quels sont vos travaux, vos axes de recherche principaux ? 

Je suis maître de conférences en économie à Telecom Bretagne et docteur en économie (appliquée aux TIC). Mes principales compétences touchent l’économie de la santé, les méthodes d’évaluation économique en santé, les modèles économiques de la télésanté. L’objectif final de mes travaux est d’aboutir à un cadre d’évaluation globale de la télésanté où sont prises en compte à la fois les dimensions économiques, sociologiques, organisationnelles, médicales et techniques des TIC santé/social.

J’ai été mandatée par la Haute Autorité de la Santé (HAS) pour mener un «État des lieux de la littérature internationale concernant l’évaluation médico-économique de la télémédecine» et je participe à de nombreux projets touchant l’évaluation médico-économique de la télémédecine. Au sein du projet européen United4Health (télésurveillance de pathologies chroniques), je travaille également sur les méthodes utilisées en Europe, relatives au Health Technology Assessment (HTA). L’évaluation économique m’a également conduite à réfléchir à la notion de modèles économiques pour la télésanté, avec un questionnement sur la répartition entre fonds privés ou publics. Un de mes axes de travail porte sur la révélation des préférences des patients ou personnes âgées et leur disposition à payer pour des téléservices.

Vous déclariez il y a 10 ans que les évaluations médico-économiques dans le domaine de la télémédecine étaient encore peu nombreuses et il était donc difficile de parler « rentabilité » pour la e-santé. Le bilan a-t-il changé ? 

Les évaluations médico-économiques de la télémédecine sont de plus en plus nombreuses mais jusqu’ici leur qualité était relativement faible, du fait de tailles d’échantillon faibles et de durées d’analyse courtes, notamment pour les pathologies chroniques où les effets cliniques ne peuvent souvent intervenir à moins de 6 mois/un an. Le rapport de la HAS (2013) conforte ce résultat en se basant sur une revue internationale.

Cependant, j’ai le sentiment que cet état de fait change et que des expérimentations de taille conséquente sont mises en oeuvre en s’appuyant sur des design méthodologiques de qualité scientifique satisfaisante. Les résultats ne sont pas encore publiés et les attentes sont fortes. Il faudrait cependant favoriser ce type d’étude, dont le coût d’évaluation est non négligeable, au lieu de saupoudrer des financements sur plusieurs petites expérimentations. Cela implique des choix stratégiques et des financements ciblés.

Pouvez-vous citer des études ou des critères qui permettent de juger ou non d’une nouvelle dynamique économique liée à la e-santé ?

Quelques rapports montrent une dynamique positive liée à la e-santé : le premier livre blanc du Syntec et du Snitem a démontré des perspectives de croissance favorables avec une taille de marché estimée de 200 à 300 M€ pour la télésanté à 5 ans. Leur rapport de 2013 présente différents modèles économiques en se basant sur quelques expériences étrangères. Dans tous les cas, il y a des opportunités à saisir pour les entreprises françaises et aujourd’hui la volonté est de défendre la filière de la santé numérique. En premier lieu, l’accent est mis sur la Silver Economie, dont le rapport « La Silver Économie, une opportunité de croissance pour la France » a été remis à Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie en décembre 2013. Le premier axe de ce dernier est de créer les conditions d’émergence d’un grand marché de la Silver Economie.

Avez-vous des exemples concrets de politique mise en place par les pouvoirs publics en termes de santé numérique ? Sait-on en évaluer les retombées et les impacts ? 

Il existe une réelle volonté politique de développement de la santé numérique afin d’améliorer la qualité des soins et l’accès au soins. Cela s’est traduit par des aides publiques, et notamment les Investissements d’Avenir avec les plans e-santé1 et e-santé 2. La DGOS (Direction Générale de l’Offre de Soins) a défini un plan national de déploiement de la télémédecine et a identifié 5 chantiers prioritaires : la permanence des soins autour de l’imagerie médicale, la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux (AVC), la santé des personnes détenues, la prise en charge des maladies chroniques (insuffisance rénale chronique, insuffisance cardiaque ou diabète) et les soins dans les structures médico-sociales ou en hospitalisation à domicile. Au sein des politiques mises en place en termes de santé numérique, il y a également le programme Hôpital Numérique, qui définit une politique nationale des systèmes d’information hospitalier.

Les retombées actuelles ne sont pas connues car elles sont en cours d’évaluation par l’ANAP via « l’évaluation de la création de valeur par les systèmes d’information en santé » à partir de deux consortium retenus. Au sein des régions également, les politiques en faveur de la e-santé sont défendues par les ARS dans leur programme régional de télémédecine, en lien avec les schémas d’organisation des soins. Actuellement, on ne connaît pas les effets induits de ces différentes actions publiques.

Aujourd’hui, de nouveaux acteurs ont un impact important sur l’économie de la santé, comme les industriels spécialisés dans les objets connectés bien-être. Comment mesure-t-on la rentabilité de la e-santé lorsqu’elle ne concerne plus uniquement les professionnels mais qu’elle est gérée directement par l’utilisateur ? Les données sont-elles fiables, accessibles ?

Dans le cadre de ce type d’approche, on se situe dans le secteur marchand où la concurrence est de mise. La question importante devient celle du modèle économique le plus adapté, à la fois pour les industriels qui ont pour objectif de récupérer de la valeur mais aussi pour les utilisateurs finaux qui vont participer à cette valeur. Les données ne sont pas facilement accessibles et un de nos travaux consiste à encourager les différents acteurs à révéler leur disposition à payer pour de tels objets. Les méthodes de révélation des préférence, méthode d’évaluation contingente ou de choix discrets, sont employées pour approcher au-mieux les préférences des différents agents.

Pour l’instant, ceci a été mené auprès d’utilisateurs âgés de services de domotique et de lien social au sein du projet Sigaal (Services Intergénérationnels pour l’Assistance aux Ainés). Ce secteur permet une démarche différente de celle de l’évaluation médico-économique car on est bien dans une démarche privée avec la volonté d’identifier les différentes propositions de valeur.


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