Actualité 19 mars 2014

Perspectives d’acteurs : Jérôme Leleu

Président, Groupe Interaction

Le 19 mars 2014, Renaissance Numérique organisait une conférence sur le thème "Financer la santé à l'ère du digital". Après avoir interrogé Henri Isaac sur les transformations du système de santé à l'heure du numérique, c'est à Jérôme Leleu, Président du Groupe Interaction, de nous présenter le rôle de la gamification et des objets connectés dans le développement de la e-santé.

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter votre activité, depuis combien de temps travaillez-vous dans ce domaine ?

Je suis le président du Groupe Interaction qui est membre de Cap Digital depuis un an et demi. Le Groupe Interaction conçoit des outils de communication et de e-formation et regroupe trois entités : Interaction Multimédia, spécialisée dans les applications Web et mobiles, Interaction Games, dont l’activité principale est le développement de serious games et de supports de formation et Interaction Healthcare. Le cœur d’activité de cette dernière est la mise au point d’outils de communication et de serious games dans le domaine de la santé à destination des patients mais aussi des professionnels de la santé : médecins, infirmiers, soignants, centres de simulation, sociétés savantes, industries pharmaceutiques, associations de patients… Nous proposons notamment des environnements 3D et des simulateurs, qu’il s’agisse de simulation en temps réel ou de cas cliniques virtuels pour l’accompagnement à la maladie chronique. Fort d’un savoir-faire développé depuis 4 ans, Interaction Healthcare est leader en France sur son marché et est très présent à l’international avec plus de 10 000 professionnels de santé formés dans le monde entier par ses outils.

Pourquoi vous intéresser à la gamification et au serious game pour développer la e-santé ?

La gamification fait partie des grands chantiers de la e-santé parce qu’elle concerne tous les publics : les patients, autant que les professionnels de santé ou le grand public. Actuellement, nous travaillons sur des programmes de simulation numérique médicale utilisant les ressorts du jeu pour former les médecins. Les taux de mémorisation des médecins formés par simulateurs, tout comme leurs retours sont excellents. Les besoins en formation continue pour les professionnels de santé sont considérables et nous percevons de réelles opportunités de développement dans la simulation numérique auprès des CHU et centres de formation. Ceci, d’autant que la Haute Autorité de Santé encourage son déploiement en prônant « Jamais la première fois sur le patient ».

Par ailleurs, le serious game représente un réel vecteur de communication pour faire passer des messages de sensibilisation et de prévention auprès du grand-public. On apprend mieux par le jeux. On agit plus volontiers en jouant également. C’est dans ce cadre que le CITRIS, centre de recherche de l’université de Berkeley dans la Silicon Valley, travaille à l’usage de la gamification pour des enjeux de santé public en incitant le grand-public à participer à des actions de détection des épidémies par exemple AirQuest, serious game social de détection et prévention des crises d’asthme est l’un des programmes développés dans ce cadre.

Y-a-t-il aujourd’hui une réelle acceptation de la e-santé et des objets connectés de la part des patients et des médecins ? Quels rapports les médecins ont-ils aux objets connectés ?

Le patient est de plus en plus acteur de son bien-être et de sa santé. L’objet connecté rentre complètement dans cette équation. Il est certain que les objets connectés seront naturellement appropriés par les patients dès lors que les données collectées seront analysées pour leur apporter une valeur ajoutée. Toute la question sur les objets connectés porte non pas sur la collecte des données mais sur leur analyse et le service qui sera finalement rendu au patient. C’est pourquoi, Slow Control – la société conceptrice la fourchette connectée HapiFork- a rejoint en novembre dernier, BariaSpoon, un programme d’accompagnement post-opératoire des patients obèses développé par LNC. Ce programme conjugue un serious game, conçu par Interaction Healthcare, et une cuillère intelligente pour accompagner les patients dans leur rééducation nutritionnelle et comportementale. Fondamentalement, le rôle du médecin ne change pas. Seul un professionnel de santé saura interpréter ces données et garantir la bonne prise en charge du patient.

Depuis quelque temps, Interaction Healthcare agit à l’international, au Canada. Que faudrait-il importer des modèles anglo-saxons pour que la e-santé fonctionne en France ?

Le modèle anglo-saxon est différent à plusieurs égards, que ce soit pour le soutien des start-up à l’innovation, le système de financement de la santé, le rôle des entreprises privées dans la santé de leurs employés, ou, la place des nouvelles technologies dans la pratique des professionnels de santé. Dans le domaine de la simulation médicale par exemple, un des moteurs utilisé par Interaction Healthcare, Pulse!, a été conçu aux Etats-Unis. Au départ, c’est l’armée et l’université qui ont été à l’initiative de son développement ; et qui ont participé à son financement. Un modèle bien différent de la France où l’hôpital et l’université disposent de peu de moyens.

Néanmoins, la France n’a pas à rougir de son avancée technologique en simulation. Beaucoup de programmes que nous avons conçu ici ont été déployés en Europe, en Asie ou en Amérique du Nord. Nous avons beaucoup d’atouts et c’est pourquoi Interaction Healthcare se déploie au Canada avec des ambitions sur l’ensemble du territoire nord-américain.

Quels sont selon vous les principaux obstacles au développement de la e-santé en France ? (enjeu de la responsabilisation et de la formation des acteurs à la confidentialité des données…)

Je dirais « enjeux » plutôt que obstacles. Car oui, le développement fulgurant de la e-santé pose de nombreuses questions. Elles sont autant juridiques sur la confidentialité des données, qu’éthiques sur l’égalité de l’accès au soin, sociales sur le changement des usages… et évidemment économiques.  Qui va financer les programmes d’accompagnement des patients ou le déploiement des objets connectés, l’assurance maladie ? les mutuelles ? des acteurs privés ? La question reste entière. Une des grandes questions qui agite le secteur aujourd’hui reste celle du statut de l’objet connecté. Deviendra-t-il un dispositif médical au même titre qu’un pansement, une seringue ou un scanner ? Ces évolutions pose également la question plus globale d’un changement du modèle de la santé où l’on se dirige vers une santé préventive plutôt que curative.


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