Publication 28 septembre 2021

Les seuils de connexions

Un indicateur insuffisant qui ne tient pas compte de la diversité du paysage en ligne et des défis de la modération

Renaissance Numérique a répondu à la consultation du gouvernement sur le décret d’application de l’article 42 de la loi confortant le respect des principes de la République, relatif aux seuils d’application du dispositif aux plateformes en ligne. Dans sa contribution, le think tank regrette que ce texte devance des dialogues en cours au niveau européen où la société civile prend une part active. Nous rappelons par ailleurs l’inefficience des indicateurs fondés uniquement sur des critères quantitatifs et invitons à considérer des critères qualitatifs relatifs aux pratiques de modération pour développer une régulation efficace et qui ne réduise pas davantage la diversité de l’espace en ligne.

Renaissance Numérique a été convié, en qualité de membre de l’Observatoire de la haine en ligne porté par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), à répondre à la consultation publique sur le projet de décret d’application de l’article 42 de la loi n°2021-1011 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, fixant les seuils d’application du dispositif aux opérateurs de plateforme en ligne, organisée par la Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).

En remarque préalable, le think tank regrette que des mesures telles que l’article 421 ne puissent faire l’objet d’un débat au sein de l’Observatoire. Ce dernier, qui réunit l’ensemble des parties prenantes impliquées sur les enjeux de modération des contenus en ligne et dont l’un des champs de réflexion porte sur l’analyse des mécanismes de diffusion des contenus haineux et des moyens de lutte, doit également servir à explorer collectivement ces nouvelles approches de régulation.

Renaissance Numérique travaille depuis de nombreuses années aux niveaux français et européen sur ces enjeux. À ce titre, le think tank souhaite porter trois points à l’attention de la Direction générale des médias et des industries culturelles.

Pourquoi devancer le débat européen ?

Tout d’abord, Renaissance Numérique regrette que la loi n°2021-1011 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, au travers de son article 42, devance une discussion en cours au niveau européen, au moment où la France prendra la présidence de l’Union européenne et alors que l’ensemble des parties prenantes, dont le gouvernement français, s’accordent sur la nécessité de porter cette régulation au niveau européen. Bien qu’il soit désormais trop tard, le think tank s’interroge encore sur la pertinence de cette précipitation. Elle omet des dialogues en cours au niveau européen où la société civile prend une part active. Elle pose par ailleurs la question de l’harmonisation future des mesures au sein de l’Union européenne.

Le think tank s’interroge encore sur la pertinence de cette précipitation. Elle omet des dialogues en cours au niveau européen où la société civile prend une part active. Elle pose par ailleurs la question de l’harmonisation future des mesures au sein de l’Union européenne.

Permettre une bonne application de la loi

Dans sa consultation, la Direction générale des médias et des industries culturelles interroge les parties prenantes sur le délai d’entrée en application de ces obligations pour les opérateurs de plateforme en ligne2.

Renaissance Numérique invite sur cette question à considérer les moyens et délais nécessaires au régulateur, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et à l’ensemble des parties prenantes pour garantir la bonne mise en œuvre de ce texte. La même précipitation qui conduit le gouvernement à devancer un texte européen pourrait mener à fragiliser la régulation.

Les indicateurs quantitatifs peuvent s’avérer non pertinents pour la régulation des contenus en ligne

Enfin, le projet de décret interroge en matière d’harmonisation et de lisibilité des différentes lois nationales. Renaissance Numérique rappelle que le décret n° 2019-297 du 10 avril 2019 relatif aux obligations d’information des opérateurs de plateforme en ligne assurant la promotion de contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général  fixe, par exemple, le nombre de connexions au-delà duquel les opérateurs de plateforme en ligne sont soumis aux obligations de la loi à cinq millions de visiteurs uniques par mois. Quelles sont les considérations qui légitiment ces écarts de seuils entre les lois ?

Dans une publication récente, Renaissance Numérique a rappelé l’inefficience des indicateurs fondés sur des critères uniquement quantitatifs afin de déterminer l’objet de la régulation en matière de modération des contenus en ligne. Les conséquences “absurdes” de cette approche ont d’ailleurs été rappelées par Wikimédia France dans leur réponse à cette consultation. Cibler les acteurs à réguler sur la base du seul fondement des seuils de connexions ne tient pas compte de la variété des opérateurs de plateforme en ligne confrontés à des défis de modération distincts.

Dans sa publication, Renaissance Numérique a montré que les efforts de régulation actuels visant à cibler les opérateurs de plateformes industrielles finissent par attirer d’autres acteurs dans leurs filets, au détriment de la pluralité du paysage en ligne. C’est pourquoi l’intégration de critères qualitatifs relatifs aux pratiques de modération est indispensable pour développer une régulation efficace et qui ne réduise pas davantage la diversité des plateformes en ligne disponibles. Par exemple, le modèle économique de l’opérateur de plateforme en ligne encourage-t-il la viralité de ce type de contenus ?

Cibler les acteurs à réguler sur la base du seul fondement des seuils de connexions ne tient pas compte de la variété des opérateurs de plateforme en ligne confrontés à des défis de modération distincts.

La « Mission Facebook » menée en 2019 en France s’est concentrée sur les systèmes algorithmiques de recommandation de contenus, ce qui est compréhensible si l’on pense aux problèmes de modération rencontrés par Facebook et YouTube, qui sont souvent liés à la curation et à la viralité des contenus toxiques. Toutefois, d’autres plateformes ne reposent pas sur la curation algorithmique et font tout de même face à un certain niveau de toxicité et de viralité.

Ainsi, une régulation de la modération des contenus en ligne établie autour d’une seule caractéristique technique aura toujours des limites. Renaissance Numérique se tient à la disposition de la DGMIC et des acteurs engagés dans cette régulation pour réfléchir à des indicateurs efficaces pour la préservation de notre espace d’information et d’expression en ligne.


1 L’article 42 “impose à certains opérateurs de plateformes en ligne dont l’activité repose sur le partage de contenus mis en ligne par des tiers (en particulier les réseaux sociaux, les plateformes de partage de vidéos et les moteurs de recherche) de lutter plus efficacement contre les contenus haineux et illicites, et encadre leurs activités de modération de ces contenus”. Pour en savoir plus, voir le site de la consultation de la Direction générale des médias et des industries culturelles.

2 Cf. Les articles 1er et 2 du projet de décret d’application de l’article 42 de la loi confortant le respect des principes de la République, fixant les seuils applicables aux plateformes : “Un opérateur de plateforme en ligne dont le nombre de connexions dépasse le seuil mentionné au premier alinéa dispose d’un délai de six mois pour se mettre en conformité avec le I (ou “II” pour l’article 2) de l’article 6-4 de la loi du 21 juin 2004 susvisée.”


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