Actualité 17 octobre 2022

Perspectives d’acteurs : Roch-Olivier Maistre

Président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

Alors qu’un tournant s’annonce en matière de régulation des plateformes numériques, avec l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA), mais aussi le lancement des discussions autour de l’European Media Freedom Act, Renaissance Numérique a interrogé Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Dans cet entretien, il revient sur le rôle et le champ d’action nouvellement étendu de l’autorité. En outre, il porte notre attention sur les défis relatifs à la bonne mise en œuvre du DSA, notamment les enjeux de coordination entre les différents régulateurs nationaux, entre les États membres, et entre ces derniers et la Commission européenne, désormais dotée d’un nouveau pouvoir de supervision.

L’Arcom est née du rapprochement du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) le 1er janvier 2022. Pouvez-vous nous présenter cette nouvelle autorité et ses missions ?

En plus des missions historiques du CSA et de l’Hadopi, l’Arcom dispose d’un champ de compétence étendu aux nouveaux enjeux de la sphère numérique. Ces missions intègrent dorénavant pleinement la lutte contre la manipulation de l’information et la haine en ligne, ainsi que la protection des usagers du net et en particulier de la jeunesse. L’Arcom est désormais aussi en mesure de faire participer les grandes plateformes internationales de vidéo à la demande et sur abonnement au financement de la création française. Enfin, la défense de la liberté de communication, de la liberté d’expression et du pluralisme des idées et des courants de pensée reste au cœur de l’action du régulateur. Aujourd’hui, notre autorité est ainsi en mesure d’opérer une régulation d’un nouveau type, à même de mieux répondre aux grands défis de l’époque.

« L’Arcom est désormais aussi en mesure de faire participer les grandes plateformes internationales de vidéo à la demande et sur abonnement au financement de la création française. »

Les prérogatives de l’Arcom (anciennement, du CSA), ont été largement étendues ces dernières années. Le nouveau règlement européen visant à réguler les services numériques (Digital Services Act, ou DSA), devrait encore élargir les missions des autorités de régulation des médias. Comment envisagez-vous le rôle de l’Arcom dans le cadre de ce nouveau règlement ?

L’adoption prochaine de ce texte dote l’Europe d’un modèle novateur et équilibré de régulation des plateformes en ligne, en particulier des très grands réseaux sociaux et places de marchés. Ce texte ambitieux instaure un cadre réglementaire européen permettant de limiter certains phénomènes négatifs liés aux services numériques, comme la haine en ligne, la manipulation de l’information, la contrefaçon, et plus généralement, de veiller à la protection des usagers en ligne.

Si l’Europe est le bon échelon pour réguler les très grandes plateformes, les conséquences de ces phénomènes se matérialisent principalement au niveau des États membres. L’Arcom se prépare ainsi à mettre en œuvre ce nouveau dispositif au niveau national et au niveau européen. Au niveau national en lien avec les autres autorités compétentes, notamment la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur les dispositions du DSA connexes au Règlement général sur la protection des données (RGPD) ou la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) sur les dispositions du DSA spécifiques aux places de marchés; et au niveau européen avec les membres de l’European Regulators Group for Audiovisual Media Services (Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, ou ERGA) et la Commission européenne.

Le DSA instaure, entre autres, un mécanisme de coopération accrue entre autorités indépendantes nationales et entre ces autorités et la Commission européenne. Quel regard portez-vous sur cette approche ? À quelles conditions peut-elle permettre d’éviter les écueils observés dans le contrôle de la mise en œuvre du RGPD ?

Le DSA se caractérise par des obligations différenciées selon la taille des opérateurs visés et par une gouvernance à trois niveaux : au niveau de la Commission européenne – concernant l’application du DSA par les très grandes plateformes et très grands moteurs de recherche ; au niveau des États membres par l’action du Coordinateur des Services Numériques (CSN, ou DSC suivant l’acronyme anglais) et des différentes autorités nationales compétentes (DGCCRF et CNIL notamment) concernant les plateformes de taille moindre ; et au niveau du Conseil européen des services numériques (European Board for Digital Services), qui rassemble la Commission européenne et les DSC et qui veillera à la cohérence de la régulation au sein de ce nouveau réseau de régulateurs du numérique.

Cette architecture permettra une gouvernance où les pouvoirs de la Commission européenne et des coordinateurs nationaux seront équilibrés. Il sera particulièrement important que la Commission, pour qui cette mission est nouvelle, s’appuie sur l’expérience et les contributions des régulateurs nationaux pour exercer efficacement et avec pertinence ses pouvoirs à l’égard des très grandes plateformes. La bonne coordination de ces multiples autorités jouera un rôle de premier plan dans l’efficacité du dispositif. La transformation numérique impose une nouvelle organisation de l’action publique où l’on agit en réseau, au niveau européen, au sein de chaque État et dans les territoires. En outre, cette transformation ne pourra se faire sans être à l’écoute des citoyens ni sans leur contribution active.

« Il sera particulièrement important que la Commission, pour qui cette mission est nouvelle, s’appuie sur l’expérience et les contributions des régulateurs nationaux pour exercer efficacement et avec pertinence ses pouvoirs à l’égard des très grandes plateformes. »

Si l’on peut saluer l’obtention d’un accord politique sur ce texte en un temps record, de nombreux éléments relatifs à sa mise en œuvre restent à définir. À cet égard, quels sont les éléments qui seront décisifs ?

Dans les prochains mois, la Commission européenne va désigner les très grandes plateformes et les très grands moteurs de recherche concernés par cette nouvelle réglementation. Elle va aussi se doter d’une équipe dédiée à la mise en œuvre du DSA (et du DMA). La mise en place de la nouvelle gouvernance, la montée en compétence de la Commission et des autorités nationales compétentes, la désignation du DSC et des autres autorités nationales compétentes, mais aussi la définition de l’articulation entre ces autorités dans chaque État membre, seront des étapes décisives pour une supervision efficace des plateformes dès 2023. Par ailleurs, la question de l’accès aux données pour les chercheurs, qui sera traitée par la Commission dans des actes délégués, sera essentielle. Sur ce point, l’Arcom a d’ailleurs lancé, en mai dernier, une première consultation publique afin d’anticiper la mise en œuvre de cette obligation centrale dans l’économie du texte.

« La question de l’accès aux données pour les chercheurs, qui sera traitée par la Commission dans des actes délégués, sera essentielle. Sur ce point, l’Arcom a d’ailleurs lancé, en mai dernier, une première consultation publique afin d’anticiper la mise en œuvre de cette obligation centrale dans l’économie du texte. »

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