Actualité 3 mai 2022

Perspectives d’acteurs : Benoît Parizet

Chief Digital Officer du Groupe Caisse des Dépôts

Comment la Caisse des Dépôts conçoit-elle son rôle de tiers de confiance à l’ère numérique ? En quoi le mouvement de plateformisation inspire-t-il sa transformation ? Dans le cadre du Club des Acteurs de la transformation numérique, Renaissance Numérique a accueilli le 20 janvier dernier Benoît Parizet, Chief Digital Officer du Groupe Caisse des Dépôts, pour en discuter. Revenant sur cette discussion, il évoque dans cette interview les motivations, défis et spécificités qui donnent forme à un processus de transformation hybride de son organisation qui s’est accéléré dans le contexte sanitaire récent.

Dès 2018, la Caisse des Dépôts s’est engagée dans une profonde transformation pour se réinventer à l’ère digitale, tout en conservant son ADN unique : une institution publique tiers de confiance entre différents partenaires, publics comme privés, nationaux comme locaux.

Notre transformation a été guidée par la volonté de tirer parti des nouvelles technologies et des nouveaux modèles d’affaires qu’elles engendrent. L’objectif : accroître la portée de l’action de la Caisse des Dépôts dans ses missions d’intérêt général, au service des Français.

Cette réinvention s’est notamment inspirée des préconisations de Jean-Louis Beffa, ancien membre de la Commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et président d’honneur de Saint-Gobain. Dans son ouvrage Se transformer ou mourir – Les grands groupes face aux start-up paru en 2017, il met l’accent sur l’importance pour les grands groupes, y compris les institutions publiques, d’accélérer leur transformation en mettant la plateformisation au cœur de leur stratégie pour éviter qu’ils ne soient ubérisés sur leur marché.

Pourquoi une plateformisation ? Parce que la plateforme est le moyen le plus efficace de se recentrer sur le client, de mieux comprendre ses attentes, d’entrer dans une relation approfondie et continue avec lui. Notre conviction rejoint celle de Jean-Louis Beffa : la plateforme est ce lieu de rencontre à la fois physique et digital des acteurs d’un même écosystème, capable d’orchestrer la valeur produite par l’ensemble de ces acteurs et de proposer in fine une palette d’offres à travers un parcours client intégré.

De ces convictions, est née une ambition : devenir la plateforme de référence sur chacun de nos métiers (développement des territoires, politiques sociales, gestions d’actifs) en s’appuyant sur plusieurs grands principes :

  1. Pour chaque métier, nous sommes positionnés au cœur de l’écosystème et nous l’animons : c’est ce qui distingue une plateforme de référence d’un portail de référence.
  2. Nous adoptons une stratégie résolument omnicanale : le digital ne s’oppose pas au physique mais il est complémentaire, au service du client ou de l’usager. Cette démarche est une grande évolution pour une institution comme la nôtre et notamment pour notre réseau de Directions Régionales.
  3. Nous cherchons à piloter davantage nos activités par la donnée : le recueil et le traitement de nos données nous permet non seulement de mieux éclairer nos décisions pour en optimiser l’impact, mais aussi d’ajuster et d’enrichir nos offres en continu.

Ainsi, la Caisse des Dépôts est devenue en quatre ans un opérateur reconnu de plateformes numériques d’intérêt général (banquedesterritoires.frmoncompteformation.gouv.frmonparcourshandicap.gouv.frAlentour, etc.).

Dans le cadre de ses missions historiques, votre groupe finance des infrastructures publiques essentielles. Désormais, vous financez la création de plateformes numériques d’intérêt général comme dans le domaine du tourisme, avec la plateforme Alentour lancée en 2021. Considérez-vous que les plateformes numériques sont les infrastructures du 21e siècle ?

Les infrastructures numériques ne remplacent pas les infrastructures physiques. À la Caisse des Dépôts, nous n’opposons pas le financement des infrastructures physiques à celui des infrastructures numériques. Les rénovations d’hôtels, d’équipements publics, d’infrastructures sociales, etc. restent essentielles. Les infrastructures traditionnelles, énergétiques ou de transport par exemple, sont indispensables et il ne faut pas les négliger.

Mais, ce qui est nouveau à la Caisse des Dépôts depuis quelques années, c’est la prise de conscience que le financement de plateformes d’intérêt général est stratégique dans certains secteurs d’activité, car il entraîne une transformation de l’ensemble des acteurs des secteurs sous-jacents. C’est cet impact que l’on recherche, que l’on regarde avec attention et qui est le plus discriminant dans nos choix.

« Ce qui est nouveau à la Caisse des Dépôts depuis quelques années, c’est la prise de conscience que le financement de plateformes d'intérêt général est stratégique dans certains secteurs d’activité, car il entraîne une transformation de l’ensemble des acteurs des secteurs sous-jacents. »

La transformation numérique de la Caisse des Dépôts repose sur deux piliers : les plateformes et les données. Le processus de transformation semble plus long à mettre en œuvre sur le deuxième pilier que sont les données. Pourquoi ?

La donnée, c’est notre nouvelle matière première à l’ère digitale, c’est le carburant de nos plateformes. Mais effectivement, la progression de ce chantier transformant est plus lente. Il reste un long chemin à parcourir. Cependant, de nombreuses actions ont déjà été lancées pour qu’à terme les données et les plateformes s’inscrivent dans un cercle vertueux et profitent les unes aux autres.

Comme beaucoup d’acteurs publics et privés, notre objectif est de devenir une organisation data driven et l’utilisation de la donnée est un enjeu majeur. En effet, la qualité et l’analyse de nos données ainsi que celles de nos partenaires sont essentielles pour avoir plus d’impact dans nos interventions, développer des services à valeur ajoutée pour nos clients (exemple : Dataviz Action Cœur de ville pour les 222 collectivités du programme Action Cœur de ville) et aider à mieux piloter nos activités en interne. L’enjeu n’est pas forcément d’avoir une multitude de données mais d’avoir des données de qualité, justes et à jour, et de pouvoir les croiser facilement avec des données externes, grâce à un outillage performant. Nous avons la conviction que dans un avenir proche les données seront de plus en plus souvent logées au sein d’infrastructures mutualisées entre plusieurs acteurs.

Aujourd’hui, la Caisse des Dépôts s’est mise en capacité de collecter et rendre exploitable toutes les données qu’elle utilise et produit. Par exemple, elle publie plus de 50 jeux de données en open data et développe plus d’une trentaine de services s’appuyant sur la collecte et l’analyse de données, pour ses collaborateurs comme pour ses clients, sur l’ensemble de ses métiers.

En interne, la donnée nous aide à prendre les bonnes décisions, à gagner en efficacité et en pertinence. Nous avons fait de nettes avancées, par exemple sur le métier des gestions d’actifs : la data est le levier clé qui lui permet de gagner en efficience dans ses process tout en réduisant le risque opérationnel, d’optimiser le rendement de ses encours en étant plus pertinent dans ses analyses, et enfin de s’ouvrir à des coopérations. Par exemple, nos gérants peuvent désormais s’appuyer sur les données et l’intelligence artificielle pour sélectionner les titres les plus prometteurs.

Les données ont toujours existé, dans toutes les organisations, mais, avec le numérique, elles prennent un rôle central. La data amène avec elle une nouvelle culture, de nouveaux métiers. Pour une organisation comme la nôtre, il s’agit d’un processus d’acculturation de longue durée pour appréhender et digérer ces nouveaux enjeux. Cela demande du temps. Nous avons par exemple créé une filière data en interne et un dispositif de formation spécifique pour accélérer cette acculturation, notre processus de transformation et le cercle vertueux des données et des plateformes.

La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur cette démarche de transformation ?

La crise sanitaire a incontestablement représenté un point de bascule pour notre transformation numérique, tant sur le volet interne qu’externe. Ce contexte a non seulement corroboré les orientations et les investissements que nous avions décidés il y a quatre ans en matière de transformation numérique, mais il a considérablement accéléré notre processus de transformation. Nous avons gagné plusieurs années.

Sur le volet interne, la Caisse des Dépôts a démontré dès le début de la crise sa résilience et sa capacité à travailler massivement de manière dématérialisée. Nous avons très rapidement doté l’ensemble des collaborateurs d’équipements nomades. Nous avons également déployé Teams dès le début de la crise, avec un dispositif d’accompagnement pour faciliter la prise en main des nouveaux outils et l’adoption des nouvelles pratiques collaboratives et du travail hybride. La digitalisation de nos processus internes a également été accélérée dans une démarche de performance opérationnelle. La crise nous a obligés à aller à l’essentiel, à faire plus simple dans nos processus et nos modes de fonctionnement.

Sur le volet externe, nos clients et nos partenaires, comme les collaborateurs, se sont appropriés à vitesse accélérée les outils digitaux. Leur dextérité digitale a augmenté et ils ont utilisé nettement davantage nos plateformes tout en demandant à conserver une relation de proximité avec leur interlocuteur au sein de la Caisse des Dépôts. C’est là tout l’enjeu de l’omnicanal.

« La crise sanitaire a incontestablement représenté un point de bascule pour notre transformation numérique, tant sur le volet interne qu’externe. Ce contexte a non seulement corroboré les orientations et les investissements que nous avions décidés il y a quatre ans en matière de transformation numérique, mais il a considérablement accéléré notre processus de transformation. Nous avons gagné plusieurs années. »

Quels sont désormais les principaux défis pour la Caisse des Dépôts en matière de transformation numérique ?

Les défis ne manquent pas, mais c’est positif !

Nous voulons d’abord développer nos plateformes : pour nos clients, bien sûr, mais nous souhaitons également qu’elles soient encore plus ouvertes sur leurs écosystèmes, pour accueillir d’autres partenaires. C’est comme cela qu’elles feront vraiment référence dans leur domaine ! L’ADN de la Caisse est d’être ouvert à l’ensemble des acteurs d’un même secteur ; il doit s’incarner de plus en plus sur nos plateformes.

Nous l’avons déjà vu, il y a un fort enjeu sur l’utilisation des données, les nôtres et celles de nos partenaires, pour avoir davantage d’impact dans nos missions.

Les évolutions technologiques constituent également un défi majeur. Dans le domaine technologique, les évolutions sont rapides et il faut rester à la pointe en permanence en matière de cloud ou de cryptoactifs par exemple. Ce sont deux domaines sur lesquels nous menons des actions « en propre » pour nos activités, mais aussi des actions « de place » dans une optique d’un développement plus global.

Même si nous avons franchi des étapes intéressantes, l’accompagnement des évolutions de l’environnement de travail des collaborateurs et des outils digitaux reste un enjeu important, dans une logique de symétrie des attentions. Nous avons lancé en début d’année la version mobile de notre plateforme collaborateur pour apporter à la fois plus de confort, d’efficacité et de qualité dans notre travail au quotidien.

Il nous faut accélérer la digitalisation de nos processus, pour plus de simplicité, de fluidité, d’efficacité. Nous cherchons à simplifier le plus possible nos processus et automatiser toutes les tâches à faible valeur ajoutée.

Enfin, nous réfléchissons à l’évolution de nos modèles d’affaires grâce au digital : l’enjeu est que le digital fasse partie intégrante de nos métiers, de nous appuyer davantage encore sur les nouvelles technologies et les données dans nos métiers pour créer de nouvelles sources de croissance qui n’auraient pas été accessibles sans le digital, afin d’être toujours plus efficace et utile dans nos missions d’intérêt général.