Publication 1 septembre 2021

Législation européenne sur l’intelligence artificielle

Analyse de Renaissance Numérique et de la Chaire Legal and Regulatory Implications of AI de l’Université Grenoble Alpes

En amont du premier débat entre les ministres européens des Télécommunications sur la législation européenne sur l’intelligence artificielle (AI Act), Renaissance Numérique et la Chaire Legal and Regulatory Implications of AI de l’Université Grenoble Alpes publient leur analyse du projet de règlement. Dans cette note, portée auprès de la Commission européenne dans le cadre de la consultation publique organisée par l’exécutif européen, les co-auteurs interrogent quatre points spécifiques de la proposition.

Auteurs et contributeurs

  • Mathias Becuywe Ingénieur d’études, Université Grenoble Alpes

  • Stéphanie Beltran Gautron Ingénieure d’études, Université Grenoble Alpes

  • Jennyfer Chrétien Déléguée générale, Renaissance Numérique

  • Théodore Christakis Professeur de droit, Université Grenoble Alpes

  • Jessica Galissaire Responsable des études, Renaissance Numérique

  • Alexandre Lodie Ingénieur d’études, Université Grenoble Alpes

  • Guillaume Morat Senior Associate, Pinsent Masons

  • Marine Pouyat Consultante, W Talents

  • Annabelle Richard Avocate associée, Pinsent Masons

  • Anaïs Trotry Doctorante, Université Grenoble Alpes

Un problème de lisibilité et d’adaptabilité de la réglementation

Deux éléments méritent une attention particulière :

  • la définition juridique des systèmes d’intelligence artificielle (IA) : est-elle adaptée à la réalité et à l’évolutivité de ces systèmes ?
  • les mécanismes de classification des systèmes considérés à « haut risque» : le texte proposé par la Commission européenne prévoit une classification pyramidale des systèmes d’IA, fondée sur une approche par le risque. Il apparaît nécessaire de clarifier ces critères et les exceptions du projet de règlement (notation sociale, techniques d’identification biométrique en temps réel, etc.).

À ce titre, il serait par ailleurs opportun d’intégrer les parties prenantes pertinentes dans les procédures de révision de la législation.

« L’adoption d’une approche qui consisterait à élargir la définition des techniques d’IA au-delà des seuls systèmes logiciels aurait certes le mérite d’englober les potentiels développements futurs de ces technologies, mais pourrait également être source d’insécurité juridique. »

La logique de gouvernance multipartite doit être renforcée

Telle que rédigée, la proposition permet aux États membres une certaine latitude pour la désignation des autorités nationales qui seront chargées de contrôler l’application du règlement. Cependant, permettre une meilleure harmonisation dans la mise en œuvre du règlement au sein de l’Union européenne serait souhaitable. En outre, il conviendra de s’assurer de la capacité des autorités désignées à assurer ces missions. Ces problèmes liés à l’harmonisation de la mise en œuvre de la réglementation européenne ont, en effet, déjà été illustrés lors de l’entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Les rôles respectifs de l’European Artificial Intelligence Board (EAIB, créé par le texte), des États membres et de la Commission européenne devraient aussi être précisés. À ce jour, le texte semble introduire plusieurs systèmes de gouvernance parallèles, sans qu’un mécanisme permette une communication claire entre eux. Enfin, il sera nécessaire d’accorder davantage d’autonomie à l’EAIB, afin de garantir son indépendance vis-à-vis de la Commission européenne.

L’AI Act pose des défis d’application

L’évaluation des systèmes d’IA repose encore sur de nombreuses inconnues. Au vu de leur diversité et de leurs usages, il est parfois difficile de déterminer le champ d’analyse pertinent. À ce stade, certains concepts présentés dans le projet de règlement ne font pas l’objet d’une méthodologie d’évaluation, ou d’une définition arrêtée. Ces difficultés d’interprétation devront être résolues afin que les acteurs concernés soient en capacité d’appréhender ces concepts dans leur processus d’évaluation.

Au regard de ces défis d’interprétation et dans la lignée du renforcement de son rôle au sein de la gouvernance, l’EAIB devrait être chargé d’établir des recommandations concrètes en concertation avec des groupes d’experts, les différentes parties prenantes et les acteurs de l’écosystème européen de l’intelligence artificielle.

Les bacs à sable réglementaires : un levier d’innovation sur lesquels l’Union européenne devrait porter une ambition forte

La proposition de la Commission européenne se fonde sur l’idée qu’un cadre réglementaire stable et clair permettrait de développer le marché de l’IA au sein de l’Union européenne. Or, le cadre demeure complexe et sans doute sera-t-il insuffisant pour constituer à lui seul un mécanisme incitatif de nature à faire naître un marché.

Ainsi, les bacs à sable règlementaires constituent le pendant « innovation » de ce texte. Toutefois, afin qu’ils puissent fonctionner et être un véritable levier pour l’innovation, il apparaît primordial de bâtir une approche harmonisée entre les autorités compétentes nationales, et que ces autorités disposent de moyens humains, techniques et financiers suffisants pour les mettre en œuvre.

Dans cette perspective, le fonctionnement de ces bacs à sable devrait être collégialement débattu entre la Commission européenne, l’EAIB, les autorités nationales compétentes, les groupes d’experts et les représentants de l’industrie et de la société civile impliqués. À l’heure actuelle, leur fonctionnement varie d’un État membre à l’autre. Du reste, ils constituent le plus souvent une opportunité pour les autorités de protection des données d’éprouver certains enjeux de conformité, plutôt que de véritables cadres d’expérimentation à des fins d’ouverture à l’innovation.

« Une telle réglementation ne pourra être mise en œuvre correctement sans une gouvernance souple, ouverte aux parties prenantes et aux expertises pertinentes. À l’instar des bacs à sable réglementaires, il s’agira de développer des outils ambitieux qui n’opposent pas régulation et innovation et qui permettront à l’Union européenne de devenir durablement un territoire d’excellence et de confiance de l’intelligence artificielle. »

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