Actualité 23 octobre 2013

L’agenda numérique européen

5 % du PIB européen, 660 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel et plus de 2,5% de l'emploi total dans l'Union européenne : en 2010, le secteur des technologies de l'information et de la communication (appelées TIC) représentait une part déjà importante de l'économie européenne, en croissance constante. C'est cette même année, le 19 mai très précisément, que la Commission européenne, qui dessinait sa stratégie Europe 2020 pour la croissance et l'emploi, a présenté sa "stratégie numérique pour l’Europe", structurée par l’Agenda numérique. Si la création d'un marché unique du numérique, qui vise en premier lieu à permettre aux entreprises du secteur des TIC de se développer dans un marché européen encore trop cloisonné, fragmenté en marchés nationaux, en est la priorité-clé, cette stratégie identifie sept actions prioritaires au total. La Commission européenne évalue annuellement les avancées réalisées, et les initiatives permettant la mise en œuvre de cet agenda sont nombreuses. En décembre 2012 Neelie Kroes, la commissaire en charge de cette stratégie, a présenté les actions prioritaires pour la période 2013-2014.

Le numérique, priorité phare de la stratégie Europe 2020

En 2008, la crise financière frappe de plein fouet certains États membres de l’Union européenne, avant de s’étendre à l’ensemble du continent et de révéler une crise économique et de la dette dont la zone euro peine encore à se relever.

Dans ce contexte, les institutions européennes multiplient les tentatives de réponse. L’une d’entre elles est présentée en 2010 et consiste en une nouvelle stratégie Europe 2020 pour la croissance et l’emploi. Cette stratégie repose sur sept initiatives phares visant à une croissance intelligente, durable et inclusive :

  • Une stratégie numérique pour l’Europe
  • Une Union pour l’innovation
  • Jeunesse en mouvement
  • Une Europe efficace dans l’utilisation des ressources
  • Une politique industrielle à l’ère de la mondialisation
  • Une stratégie pour les nouvelles compétences et les nouveaux emplois
  • Une plateforme européenne contre la pauvreté

Mentionnée en première ligne de ces priorités, la stratégie numérique fait l’objet d’une communication de la Commission européenne dès mai 2010. Le plan d’action présenté ce 19 mai 2010 vise à « accroître la prospérité et la qualité de vie en Europe ». La Commission dresse le bilan selon lequel « la moitié des gains de productivité réalisés dans l’UE au cours des 15 dernières années étaient dus aux technologies de l’information et des communications », et ambitionne alors « de contribuer notablement à la croissance économique de l’UE et de faire profiter tous les secteurs de la société des avantages de l’ère numérique ».

L’Agenda numérique européen : un plan d’action de sept objectifs

La stratégie de la Commission européenne s’articule elle-même autour de sept objectifs clés, qui composent l’Agenda numérique européen :

1. Créer un véritable marché unique du numérique pour permettre à l’ensemble des Européens de bénéficier des avantages du numérique

Alors qu’il a fêté ses 20 ans en 2012, le marché unique européen est loin d’être achevé. La libre circulation des personnes, des biens et des services dans l’Union européenne reste encore aujourd’hui entravée par des obstacles techniques, juridiques et administratifs que la Commission européenne s’évertue à faire tomber.

Le numérique n’est pas épargné : dans sa communication, la Commission relève ainsi qu’aux Etats-Unis, il y a quatre fois plus de téléchargements légaux de musique qu’en Europe, qui pâtit du manque d’offres légales et du cloisonnement des marchés. Elle ambitionne dès lors dans sa stratégie d’ouvrir l’accès au contenu en ligne légal en simplifiant l’acquittement et la gestion des droits d’auteur et l’octroi de licences transnationales, mais aussi de faciliter les paiements et la facturation électroniques et de simplifier le règlement des litiges en ligne.

2. Améliorer la normalisation et l’interopérabilité dans le domaine des TIC

Dans cet objectif de création d’un marché unique du numérique au sein de l’Union européenne, la Commission constate qu’une telle ambition nécessite l’interopérabilité des outils et des produits TIC, c’est-à-dire leur capacité à s’ouvrir, à partager, à se combiner les uns aux autres. Cette disposition renvoie directement à la question des logiciels libres ou « open source ». En effet, toute référence aux standards ouverts et aux logiciels libres a été écartée du texte final présenté en 2010 par la Commission européenne.

La question de l’interopérabilité des TIC et de l’ouverture des logiciels donne lieu a un vif débat en Europe. Il oppose notamment les associations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet (telle que la Quadrature du Net en France) et les fabricants multinationaux de logiciels représentés à Bruxelles

3. Renforcer la confiance et la sécurité : la protection des données personnelles

La protection des données personnelles est un enjeu majeur de l’Agenda numérique. Elle dépasse d’ailleurs les limites de cet agenda pour interroger les domaines de la justice et des droits fondamentaux en Europe. Stockage et diffusion des données des passagers des transports aériens, droit à l’oubli, affaire PRISM… la protection des données personnelles est régulièrement au coeur du débat européen. Le 25 janvier 2012 la Commission européenne, par la voix de sa vice-présidente en charge de la justice, Viviane Reding, a proposé une réforme de la législation européenne datant de 1995 sur les données à caractère personnelle. Le 21 octobre 2013, la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures du Parlement européen a adopté le rapport de l’Allemand Jan Philippe Albrecht (Les Verts/ALE) après de longs débats sur le projet de règlement de la Commission européenne. Ce rapport doit encore être voté en première lecture par l’ensemble des eurodéputés et le Conseil de l’UE doit également se prononcer.

Ce troisième objectif concerne également les questions de sécurité sur Internet. La stratégie de la Commission envisage une meilleure coordination européenne en cas d’attaque informatique notamment.

4. Internet rapide et ultra-rapide : le haut débit pour tous

Le quatrième objectif de l’Agenda numérique européen est l’accès de tous les Européens à un Internet rapide (au moins 30 Mbps, précise la communication de la Commission) d’ici 2020, et l’accès de la moitié des ménages européens à l’Internet ultrarapide (100 Mbps).

En 2010, la Commission constatait à regret que seul 1% des Européens était relié à Internet par la fibre, contre 12% des Japonais et 15% des Sud-Coréens. En 2010, la stratégie prévoyait donc un certain nombre d’investissements dans les technologies du haut-débit, en particulier la fibre optique.

5. Stimuler la recherche de pointe et l’innovation

L’Union européenne n’investit pas assez dans la recherche et l’innovation dans le secteur du numérique. C’est en tout cas le bilan dressé par la Commission en 2010 lorsqu’elle publie sa stratégie : l’effort d’investissement européen est moitié moindre que celui des Etats-Unis. Or, l’Europe doit offrir à ses citoyens des technologies de pointe et permettre à ses entreprises d’être compétitives (concurrencer ses rivaux, voire les surpasser, précise la communication) à l’échelle internationale.

Pour cela, la Commission ambitionne d’augmenter ces investissements en utilisant d’une part le budget européen mobilisé pour la recherche et le développement (à travers notamment le 7ème PCRD jusqu’à fin 2013) et, d’autre part, en stimulant les investissements privés via les fonds européens régionaux.

6. Démocratiser l’accès à Internet par la formation aux TIC

42 % des Européens n’avaient jamais utilisé Internet en 2006. Si cette proportion a diminué de moitié en six ans (22% en 2012) elle est représentative d’un manque d’accès des citoyens à cette technologie, qui ne s’explique pas uniquement par une couverture incomplète du territoire européen.

Pourtant, note la Commission, « le commerce, l’accès à l’administration publique et aux services sociaux et de santé, l’apprentissage et la vie politique se font de plus en plus en ligne ». Elle ambitionne ainsi dans sa stratégie de faire entrer l’ensemble des Européens dans « l’ère numérique » en leur apportant les connaissances et compétences nécessaires. Cet effort passe par l’éducation des plus jeunes et la formation des plus âgés aux TIC.

7. Mettre les TIC au service de la société européenne

La Commission se fixe comme dernier objectif de « libérer le potentiel des TIC ». Par là, elle ambitionne d’utiliser les potentialités offertes par ces technologies pour les mettre au service du quotidien des Européens.

Elle s’engage ainsi dans sa stratégie à faire en sorte que les patients puissent, d’ici à 2015, avoir accès à leur dossier médical électronique où qu’ils se trouvent dans l’UE. Elle promeut un meilleur accès des personnes âges et/ou handicapés aux outils numériques.

L’autre domaine pouvant bénéficier des TIC, selon la Commission, est celui de l’environnement et du développement durable. En effet, les TIC permettent de développer des technologies d’économie d’énergie, qui doivent être exploitées. La Commission cite à titre d’exemple l’éclairage SSL, qui consomme 70 % de moins que les systèmes d’éclairage classiques.

Sur la base de cet Agenda, la Commission européenne a été depuis 2010 à l’initiative d’un certain nombre de textes nouveaux ou de réformes visant à la mise en oeuvre de la stratégie numérique. La transversalité de la thématique entraîne l’implication de nombreux autres commissaires, avec qui Neelie Kroes est donc amenée à travailler.

Ces sept objectifs définissent les grandes orientations de cette stratégie, qui se décline plus précisément en 78 actions clés incombant à la Commission européenne, auxquelles s’ajoutent 23 actions relevant des Etats membres. Chaque année, la Commission publie un tableau de bord des progrès réalisés dans le domaine du numérique par rapport aux objectifs fixés.

2013-2014 : une stratégie numérique révisée

Le 18 décembre 2012, la Commission a adopté sept nouveaux objectifs pour la période 2013-2014. Une « stratégie numérique actualisée entraînerait une hausse du PIB européen de 5 %, soit 1 500 euros par personne, au cours des huit prochaines années, en augmentant les investissements dans les TIC, en améliorant le niveau des compétences numériques des travailleurs, en permettant l’innovation dans le secteur public, et en réformant les conditions générales pour l’économie de l’Internet » annonce le communiqué de presse.

  1. Créer un nouvel environnement réglementaire stable pour le haut débit en augmentant les investissements privés dans les réseaux fixes et mobiles à haut débit. La principale priorité de la Commission dans le secteur numérique pour 2013 est donc l’achèvement d’un nouvel environnement réglementaire stable pour le haut débit avec l’adoption envisagée d’un ensemble de dix mesures en 2013 ;
  2. Créer de nouvelles infrastructures de services publics numériques grâce au mécanisme pour l’interconnexion en Europe, avec notamment l’accélération de la mise en œuvre des services numériques (notamment leur interopérabilité transfrontière) d’identités et de signatures électroniques, de la mobilité des entreprises, de la justice en ligne, des dossiers médicaux en ligne et des plateformes culturelles en ligne comme Europeana. Le texte a été présenté par la Commission, et si la commission ITRE du Parlement européen a désigné le rapporteur en charge du dossier, le Danois Jens Rohde (ADLE), les négociations avec le Conseil n’ont pas commencé ;
  3. Lancer une grande coalition sur les compétences et les emplois numériques ;
  4. Proposer une stratégie de l’UE en matière de cybersécurité qui se traduira par l’adoption d’une directive visant à établir un niveau minimum commun de préparation à l’échelle nationale, notamment une plateforme en ligne pour prévenir et contrer les cyberincidents transfrontières, et des obligations d’informations sur les incidents ;
  5. Mettre à jour le cadre du droit d’auteur afin de parvenir à l’achévement d’un marché unique numérique. La Commission envisage d’ouvrir le dialogue avec les parties intéressées en 2013, et de trancher sur l’opportunité de réviser le cadre législatif existant en 2014 ;
  6. Donner un coup d’accélérateur à l’informatique en nuage en s’appuyant sur le pouvoir d’achat du secteur public ;
  7. Lancer la nouvelle stratégie industrielle électronique

Classement annuel 2013 des progrès numériques

Le 12 juin 2013, la Commission européenne a publié son classement annuel des progrès numériques (en).

José Manuel Barroso

Président de la Commission européenne, le 11 septembre 2013

« Les intérêts stratégiques de l’Europe et son développement économique réclament des progrès substantiels vers la mise en place d’un marché unique européen des télécommunications, tant dans l’intérêt du secteur des télécommunications lui-même que pour les Européens, qui se voient privés de la possibilité de bénéficier d’un accès complet et équitable à l’internet et aux services mobiles. »

Comme chaque année depuis le lancement de la stratégie en 2010, elle y dresse le bilan des progrès réalisés au regard des objectifs fixés. Le tableau de bord 2013, qui se base sur les données 2012, évalue essentiellement l’accès des Européens à Internet et les obstacles persistants dans la constitution d’un marché unique numérique. Seraient principalement en cause des problèmes sur le marché des télécommunications.

Dans ce domaine, le Conseil a demandé à la Commission de réer un marché unique des télécommunications. Cette dernière a été très réactive puisque c’est le 11 septembre 2013 qu’elle a publié sa proposition, qu’elle qualifie de « grand pas en avant » et qu’elle présente comme le « projet le plus ambitieux qu’elle ait proposé en 26 ans ». Cette proposition s’adresse non seulement aux citoyens, en ambitionnant de réduire les factures des consommateurs et en accordant une série de nouveaux droits aux utilisateurs, mais également aux opérateurs, en simplifiant les démarches administratives, et aux fournisseurs de services. La nouvelle politique européenne doit permettre à l’Europe d’être également compétitive au niveau mondial.

La proposition repose sur quatre mesures phares :

  1. Améliorer le roaming et baisser les coûts en itinérance en créant pour les utilisateurs de téléphonie mobile des formules sans frais d’itinérance dans toute l’Union européenne ;
  2. Simplifier les règles pour aider les entreprises à investir davantage et à étendre leurs activités au-delà des frontières ;
  3. Pour la toute première fois, préserver dans toute l’Union la neutralité de l’Internet ;
  4. Supprimer les majorations applicables aux appels intra-UE.

Outre l’absence d’un marché unique des télécommunications, le bilan annuel 2013 note cependant plusieurs progrès :

  • Un haut-débit « de base » accessible presque partout en Europe, grâce aux satellites européens. La Commission précise que des efforts sont encore à réaliser, mais que les 4,5% qui ne bénéficiaient pas de connexion sur une ligne fixe sont désormais couverts ;
  • Le haut-débit rapide (plus de 30 Mbps) accessible pour 54% de la population européenne ;
  • Un accès Internet de plus en plus mobile avec 36% des Européens qui y accèdent depuis leur téléphone portable ou tablette. La couverture des téléphones portables de 4e génération (LTE) a triplé en un an, et atteint aujourd’hui 26 %.

La Commission relève deux autres lacunes importantes dans la mise en oeuvre de la stratégie : seuls 2% des Européens ont accès à l’Internet ultra-rapide (plus de 100 Mbps) … loin de l’objectif de 50% que s’est fixé la Commission. Et 50% des Européens ont peu ou pas de compétences informatiques, une situation qui ne s’est pas améliorée ces dernières années. Cela nuit d’une part à l’accès aux TIC par l’ensemble des citoyens, mais également à l’économie et au développement des entreprises qui peinent à trouver des profils qualifiés. 40% d’entre elles n’arrivent pas à recruter, alors que 900 000 postes devraient être à pourvoir en 2025.

Suite à l’adoption en décembre 2012 de sept nouveaux objectifs pour la période 2013-2014, la Commission a présenté le même jour une série de directives révisées sur les aides d’Etat en matière de haut-débit, réclamant notamment plus de transparence. Dans son bilan annuel, elle relève également les autres actions prises en réponse à cette stratégie révisée :

  • L’adoption d’une stratégie européenne de cybersécurité pour « un cyberespace ouvert, sûr et sécurisé » présentée le 7 février, et visant à mieux anticiper et répondre aux cyberattaques et aux perturbations ;
  • Une proposition de directive sur la sécurité des réseaux et de l’information visant à garantir un environnement numérique sûr et fiable dans l’ensemble de l’Union ;
  • Le lancement, le 4 mars, de « la grande coalition en faveur de l’emploi dans le secteur du numérique » partenariat impliquant les différentes parties intéressées par l’objectif de pourvoir le grand nombre de postes de spécialistes de TIC vacants ;
  • L’adoption, le 26 mars, d’un règlement pour la réduction des frais des travaux de génie civil, qui représentent jusqu’à 80 % du coût d’installation des réseaux à haut débit, afin d’économiser de 40 à 60 milliards d’euros, soit jusqu’à 30 % du coût total d’investissement, simplement en évitant la construction de tranchées inutiles. Réalisé en partenariat avec Renaissance numérique Références

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