Actualité 11 avril 2014

La CJUE nous invite à tracer la ligne de partage entre démocratie et dictature

AUTEUR

  • Étienne Drouard, Associé, K&L Gates / Administrateur, Renaissance Numérique

Mardi 8 avril, la Cour de justice de l'Union Européenne a invalidé la directive sur la conservation des données (2006-24). Elle a ainsi émis aux Etats membres un signal fort en les enjoignant de respecter le délicat équilibre entre la lutte contre le terrorisme et le respect des principes d'un État de droit.

Les orientations fournies par cette décision mettent en péril plusieurs lois françaises, dont la loi de programmation militaire votée en décembre dernier. Son article 20 prévoit de donner à plusieurs administrations l’accès en temps réel aux données de connexion et aux contenus, pour de larges finalités, allant de la criminalité, à la délinquance organisée en passant par la « sauvegarde du potentiel scientifique ». Cela sans intervention du juge, sans limite dans le temps (les délais de conservation étant renouvelables indéfiniment).

Comme le montre cet article de loi et comme l’a explicitement souligné la CJUE, il ne suffit donc pas de vivre dans un Etat démocratique pour garantir automatiquement que les lois qui y sont votées sont respectueuses des libertés individuelles.

La CJUE a donc demandé aux États de se doter de dispositifs efficaces de contrôle afin de rendre compte de leurs activités de surveillance. Par qui les informations sont-elles collectées ? Pour quelles finalités ? Ces finalités sont-elles proportionnées à l’étendue des données collectées ? Des mécanismes de contrôle indépendants permettent-ils d’assurer que les données collectées ne sont utilisées que pour les finalités annoncées et des durées limitées ? A travers ces questions, la CJUE rappelle que les ingérences dans la vie privées ne sont pas interdites mais qu’elles doivent se limiter au strict nécessaire et non devenir des commodités.

Aujourd’hui en France, seule la CNCIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité) intervient dans les processus de saisie de données de trafic. Mais cette structure ne dispose d’aucun pouvoir contraignant dans le cas où les autorités enfreindraient les cadres fixés et ne contrôle que le formalisme des demandes de saisies de données et aucunement l’exécution de ces demandes et l’utilisation, la conservation, l’accès ou la transmission de ces données pour d’autres finalités que celles qui ont justifié leur saisie. La loi de programmation militaire n’a, sur toutes ces questions, donné à la CNCIS aucun moyen de contrôle.

L’absence de tout dispositif politique et juridique de contrôle indépendant des activités de surveillance des administrations vient ici toucher au principe même de la séparation des pouvoirs.

Aujourd’hui, la peur du « Big Brother » est dans tous les esprits, dans tous nos journaux. Et ce, particulièrement après les révélations Snowden, qui imposent désormais aux gouvernements démocratiques du monde de se montrer plus transparents sur les questions de collecte et de traitement des données. Non pas pour révéler aux fauteurs de menaces comment échapper à la surveillance étatique. Mais pour garantir à la population que la surveillance électronique est encadrée pour atteindre des objectifs légitimes de sécurité et ne devient pas une commodité pouvant rapidement mener à des dérives.

La France pourrait être pionnière sur l’encadrement des pratiques de renseignement en se dotant d’un dispositif de contrôle effectif qui ferait cas d’école dans le monde. Tout est à inventer pour apporter des garanties satisfaisantes à un contrôle indépendant. Contrôle administratif ? Contrôle judiciaire ? Nous devons nous fixer comme objectif la confiance et la transparence, sans mettre en péril notre sécurité intérieure. Un défi à la hauteur de nos principes démocratiques et républicains. Un défi qui trace, par une organisation professionnalisée et mature de la surveillance, la ligne de partage entre démocraties et dictatures.

C’est ce qui nous permettra d’affirmer sur la scène internationale et auprès des Français, que nous avons pris le tournant numérique dans le domaine du respect des droits de l’homme et du citoyen également.