Publication 23 mars 2018

Fake news ? Faire face aux troubles informationnels à l’ère numérique

En quelques mois, les termes de “fake news” se sont imposés dans le débat public français après avoir été au cœur de la dernière campagne électorale américaine. Or, combattre les fausses informations nécessite de leur substituer un concept plus neutre que ceux-ci, qui sont utilisés à la fois pour décrire et pour juger, puis pour invectiver et instiller le doute.. En outre, ce concept doit permettre de prendre en compte toute la diversité du phénomène qui touche notre société, à savoir la pollution informationnelle. Renaissance Numérique émet 14 pistes d’action pour repenser les modes de production et de diffusion de l’information. Ce faisant, le think tank invite à la responsabilisation de tous les acteurs concernés : médias, plateformes, acteurs économiques, citoyens…

Sortir d’un débat tronqué

Illusion historique, insulte politique, terme flou, débat tronqué et trompeur… Un cadrage à partir de la notion de fake news est stérile. Il faut l’élargir à tous les phénomènes d’altération de l’information, ou « troubles informationnels » pour reprendre les termes de Claire Wardle. Ces troubles sont de trois types : la désinformation, la més-information et la mal-information. Chacun appelle à des considérations, des postures et des mesures différentes.

De l’inutilité d’une nouvelle loi

Renaissance Numérique s’associe aux avis relatifs à l’inutilité, voire la dangerosité, de concevoir une loi dédiée et limitée à ce concept. La législation en vigueur, notamment la loi sur la liberté de la presse de 1881, permet de couvrir la problématique des fausses nouvelles. L’enjeu juridique porte plutôt sur les ressources mises en œuvre pour appliquer le cadre existant dans ce contexte numérique. Il s’applique également au futur statut des hébergeurs, qui aujourd’hui participent à la production d’information.

S’il est nécessaire d’être réactif dans le combat contre les illégalités évidentes, le think tank en appelle à ne pas élargir le périmètre. Le risque serait d’organiser l’erreur, la censure automatisée, c’est-à-dire du filtrage auto(systé)matique, lorsque le motif reste ouvert à un débat contradictoire laissant place au doute.

Fausses nouvelles : les dispositions juridiques existantes en droit français
Objet Base juridique Définition
Sur le risque de trouble volontaire à l’ordre public Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse L’article 27 de Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros. Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation » .
Sur le détournement des processus électoraux Code électoral L’article L97 du code électoral prévoit que « Ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter, seront punis d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros ».
Sur la procédure de référé Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).Cette loi transpose en droit français la directive européenne 2000/31, dite Directive e-Commerce. L’article 6-I-8 de la LCEN dispose que « L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne » . 

Une responsabilité de tous les acteurs

Il est nécessaire de reconnaître la diversité des formes prises par la fabrication et la circulation d’une fausse information. Aujourd’hui, le regard est focalisé – à juste titre – sur les professionnels de l’information et les techniques d’industrialisation de fausses présences ou activités numériques (faux profils, robots qui stimulent l’importance donnée à une tendance, un hashtag, etc.).

Il convient d’élargir la réflexion, et de considérer comment tous les acteurs de la société peuvent, de façon intentionnelle ou non, être vecteurs d’informations fausses ou pouvant induire en erreur. Le citoyen est encore trop souvent perçu comme un “récepteur passif”. Il serait intéressant d’intégrer son point de vue dans ces réflexions.

PROPOSITIONS

Proposition n°1

Développer le « path checking » auprès des journalistes et des chercheurs. Les plateformes doivent permettre à des acteurs fiables et identifiés (programme de recherche, journalistes spécialisés) de rapidement analyser la circulation des informations sur les réseaux sociaux.

Proposition n°2

Renforcer la démarche de type HoaxBuster en s’appuyant sur des méthodologies collaboratives de type Wikipédia afin de recenser les informations troublées (rumeurs, controverses et fausses informations qui connaissent une diffusion importante).

Proposition n°3

Les annonceurs doivent s’assurer auprès de leur service marketing et de leur partenaire en matière d’achat d’espace, que les dispositifs de publicité programmatique ne contiennent pas des sites dont les contenus peuvent contrevenir à une information fiable et de qualité auprès des consommateurs.

Proposition n°4

Rendre obligatoire le renseignement d’un numéro d’immatriculation pour tout ordre d’insertion publicitaire sur les réseaux sociaux.

Proposition n°5

Sensibiliser aux différentes règles de distribution de l’information des algorithmes à travers un module spécifique et facilement identifiable par les internautes.

Proposition n°6

Intégrer au design des plateformes des “nudges” qui permettent de ralentir la diffusion d’informations dans des situations « hors norme » prédéfinies, ou des contextes avérés de panique ou de tension sociale et politique.

Proposition n°7

Renforcer les moyens dédiés aux dispositifs publics de signalement, en simplifiant, standardisant et centralisant les signalements, et en les adaptant au temps de l’Internet et à son caractère transfrontalier par le développement d’un réseau de collaboration international, et en premier lieu européen.

Proposition n°8

Que les médias produisent des chartes et une ligne éditoriale propre aux réseaux sociaux (et actualisable en fonction des changements de design des plateformes) pour permettre aux internautes de comprendre leur positionnement sur les réseaux sociaux.

Proposition n°9

Clarté by design. Présenter de manière plus lisible et plus claire les partenariats éditoriaux avec des marques, des institutions ou des entreprises.

Proposition n°10

Instaurer un registre des partenariats éditoriaux. Mettre à la disposition de tous, et en open source, un registre des partenariats éditoriaux (quels annonceurs, sur quels sujets, sur quelles durées et pour quelles productions).

Proposition n°11

Mieux indiquer les contenus sponsorisés sur les plateformes web social, et lorsque les contenus sont sponsorisés par des tiers pour indiquer la volonté publicitaire du lien proposé à l’internaute.

Proposition n°12

Instaurer un service de notification des publicités problématiques. Les médias peuvent mettre en place des dispositifs de signalement auprès de leurs lecteurs pour identifier les publicités problématiques que les plateformes diffusent aux internautes.

Proposition n°13

Renforcer les systèmes de certification des comptes et pages sur les réseaux sociaux et y adosser des contreparties en matière de comportement et de bon usage.

Proposition n°14

Actualiser et préciser les chartes de déontologie professionnelles sur l’usage des réseaux sociaux.

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