tribune
Entre le premier livre imprimé par Gutenberg et l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, trois siècles se sont écoulés. A une époque où les moyens de circulation étaient très limités, il a fallu attendre 300 ans pour comprendre et enseigner les bouleversements liés à l’imprimerie. Distribution et démocratisation du savoir, autonomie de l’individu, accès à la culture, circulation et partage des idées... Les philosophes des Lumières ont théorisé cette révolution culturelle qui entraînera, quelques décennies plus tard, la révolution des peuples contre les pouvoirs en place en Europe. Aujourd’hui encore, la philosophie des Lumières reste un socle commun à toutes les démocraties dites « occidentales ».
C’est sur ce socle commun que ce sont appuyés les pionniers de l’Internet qui ont vu en l’architecture décentralisée et horizontale du réseau de communication, un vecteur formidable de liberté d’expression, d’échange de biens et de savoirs, de gouvernance partagée. Aussi, comparer la naissance d’Internet à celle de l’Imprimerie est un poncif qui fait sens et le terme galvaudé de « révolution numérique » décrit une réalité liée à l’accélération de la vitesse de circulation des informations conjuguée à l’architecture décentralisée du réseau.
Si nous vivons donc une révolution de la communication en faveur d’une démocratisation des savoirs et de l’action de chacun, nous avons également besoin de théoriciens pour en penser les contours et les conséquences, comme l’ont fait les philosophes des Lumières au XVIIIe siècle. Pas de révolution sans théoriciens de cette révolution.
Bien sûr, nous avons d’excellents penseurs du numérique, notamment dans les sciences humaines et dans l’économie, et notre think tank est là pour rappeler leur contribution au débat d’idées. Mais rares sont les philosophes à faire du numérique un objet de réflexion à part entière ou à intégrer à leur champ d’étude les nouveaux usages numériques.
Mort, amour, pouvoir, mémoire, histoire, éthique... tous ces grands concepts, qui ont fait l’objet d’études philosophiques, évoluent aujourd’hui avec les usages numériques.
Aussi, nous considérons qu’il est important que la technophobie diffuse chez nos élites philosophes laisse place à une vraie prise en considération du numérique et de ses usages comme matière à penser.
De même que les Lumières ont permis de faire de l’imprimerie tout un projet philosophique pour notre société, nous avons besoin de philosophes pour analyser les usages du numérique et avec ces conclusions ouvrir une nouvelle page de notre histoire philosophique. Cet impératif intellectuel est d’autant plus pressant que la prise de conscience d’une transition numérique est de plus en plus admise et diffuse ; elle doit être pensée.